Un État peut-il adopter Bitcoin ? Le cas chinois
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Dans un précédent article, j’avais mis en garde contre la lecture biaisée qu’une partie des média occidentaux faisait du communiqué de la PBOC du 20 janvier dernier. Il n’y avait alors guère d’éléments tangibles dans cette épais concentré de langue de bois pour appuyer la thèse que la banque centrale chinoise, bras armé d’un gouvernement communiste bien connu pour ses penchants libertaires, limite anar’ sympa, envisagerait sérieusement de créer une cryptomonnaie décentralisée ayant une quelconque parenté, même lointaine, avec Bitcoin.
Depuis une interview de Zhou Xiaochuan, président de la PBOC et l’un des responsables cités dans le communiqué du 20 janvier, est parue dans la presse économique en ligne. Le journaliste a centré l’entretien sur ce fameux communiqué du 20 janvier et le projet de monnaie « électronique » annoncée.
Et bien, ça n’a pas manqué, et je le dis en toute modestie : les réponses du petit Zhou confirment toutes les réserves que j’avais exprimées après le communiqué du mois dernier. Quelques constats évidents à la lecture de cette interview :
Ce projet de cryptomonnaie étatique n’a rien à voir avec Bitcoin
Bitcoin est pour ainsi dire absent de l’interview, et n’apparaît qu’à l’avant-dernière question posée par le journaliste, et encore seulement dans une référence négative à la fameuse « attaque 51% » :
Q : Comment protéger une monnaie numérique de la contrefaçon ? Comment éviter le risque toujours latent d’une « attaque 51% » qui pèse sur Bitcoin ?
R : En apparence, la protection du papier monnaie contre la contrefaçon dépend de la vigilance des consommateurs, mais en réalité cette protection est rendue possible par un certain nombre de technologies qui sont d’une importance critique pour l’État. Cette situation serait fondamentalement inchangée dans le cas d’une monnaie numérique émise par une banque centrale. Nous mettrons en œuvre toutes sortes de moyens techniques, incluant des moyens cryptographiques, pour préserver la monnaie numérique des risques de contrefaçons. Ces technologies évoluent sans cesse, c’est pourquoi nous essayons d’anticiper ces évolutions et de les intégrer dans nos réflexions, et de penser l’évolution de la monnaie dans une perspective de développement à long terme.
Les débats actuels sur le problème de « l’attaque 51% » concernent essentiellement Bitcoin, qui fonctionne sans l’appui d’une banque centrale. Dans le cas d’une monnaie numérique sous le contrôle d’une banque centrale, nous avons à notre disposition toute une batterie de moyens pour garantir la sécurité du système, des moyens techniques évidemment, mais aussi des mécanismes de contrôle institutionnels, ainsi que la loi et les régulations. Cette monnaie reposerait donc sur des bases conceptuelles différentes de celles de Bitcoin.
En résumé : M.Zhou n’a aucune intention de remettre en question le système monétaire tel qu’il existe aujourd’hui. Le rôle de l’État et de la banque centrale doit rester inchangé, cette dernière en particulier reste garante de la sécurité et de l’intégrité du système monétaire. Conceptuellement, la monnaie numérique que projette la PBOC n’aurait rien à voir avec une cryptomonnaie décentralisée comme Bitcoin, mais ne serait qu’une version électronique de la bonne vieille monnaie fiat du XXe siècle, avec tout ce que ça implique.
L’intérêt de la PBOC pour la Blockchain n’est guère qu’intellectuel (et encore)
Comme de nombreuses autres banques et institutions respectables, la PBOC a succombé à la mode Blockchain, si tendance en 2015, mais au-delà des effets d’annonce, la banque centrale de la 2ème puissance économique mondiale a-t-elle des plans concrets pour cette technologie ? Là encore, l’interview remet bien les pendules à l’heure :
Q : On parle beaucoup de la Blockchain ces derniers mois, est-ce que la PBOC prévoit d’utiliser cette technologie dans son projet de monnaie numérique ?
R : […]Techniquement, la Blockchain est un choix possible. Ses points forts sont l’exploitation d’un ledger distribué, de ne pas reposer sur des comptes liés à des identités réelles, et d’être infalsifiable. Si une monnaie numérique vise principalement à protéger la confidentialité des utilisateurs, alors la Blockchain est tout à fait pertinente. La PBOC a consacré de nombreuses ressources à l’étude des applications de la Blockchain, mais il ressort pour le moment que cette technologie consomme trop de ressources, aussi bien en termes de puissance de calcul que de capacité de stockage, pour pouvoir s’adapter au volume des échanges sur le marché actuel. Nous attendons de voir si ces problèmes peuvent être réglés à l’avenir.
On ne saurait être plus clair : la PBOC a étudié sérieusement la question, mais la blockchain ne satisfait pas ses attentes, du moins en l’état actuel de la technologie. Cette petite réflexion a aussi l’intérêt de montrer la difficulté conceptuelle que représente Bitcoin pour les banques centrales, et probablement dans une moindre mesure les banques commerciales : M.Zhou ne peut envisager la blockchain que dans un modèle d’organisation non seulement centralisé, mais aussi étatiste. Il n’y a qu’une seule monnaie, et la Banque Centrale est son prophète ; comment un réseau qui peine actuellement à absorber plus de 3 transactions par seconde en dépit d’une consommation importante de bande passante et d’énergie électrique pourrait-il supporter le nombre de transactions qui s’effectuent quotidiennement dans une économie de la taille de la Chine ?
Le respect de la vie privée et de la confidentialité des utilisateurs est une préoccupation secondaire pour la PBOC
M. Zhou concède néanmoins que si l’objectif est d’assurer la confidentialité des utilisateurs et des transactions, alors la Blockchain serait tout à fait pertinente. Le problème, c’est qu’en tant que banquier central, la confidentialité des transactions, ce n’est franchement pas sa priorité :
Une banque centrale qui émettrait une monnaie numérique devrait s’assurer que celle-ci présente les caractéristiques suivantes :
Cette monnaie doit être simple à utiliser et sûre.
Il faut à la fois protéger la confidentialité des utilisateurs et garantir l’ordre public, mais aussi faciliter la lutte contre le crime, en particulier endiguer le blanchiment d’argent, le terrorisme et les autres activités criminelles.
Il faut qu’une telle monnaie contribue à rendre l’application des politiques monétaires décidées par la banque centrale plus efficace.
Enfin, elle doit garantir que l’État conserve sa pleine souveraineté sur la monnaie, une monnaie numérique est certes librement convertible, mais l’État doit garder un contrôle sur cette convertibilité.
Ainsi, nous pensons qu’une monnaie numérique, si elle doit être utilisé comme une monnaie légale, doit nécessairement être émise par une banque centrale. L’émission, la circulation et l’échange de cette monnaie numérique doivent suivre les mêmes principes, que ce soit pour une monnaie « traditionnelle » ou les nouvelles monnaies numériques, et implique la mise en œuvre de principes similaires dans leur gestion.
La confidentialité des utilisateurs n’est donc mentionnée qu’en passant, et immédiatement contrebalancée par la nécessaire lutte contre les méchants terroristes et <del>les hommes politiques</del> les gangsters qui lavent leur argent sale en famille. L’accent est mis sur le nécessaire, évidemment nécessaire contrôle de cette monnaie et de ce que les gens font avec, pour s’assurer qu’ils ne fassent rien d’illégal et surtout qu’ils vont bien dans la direction que leur indique la politique monétaire décidée par la banque centrale, pour le plus grand bien de tous, forcément.
Bref, il faut tout changer pour que tout reste comme avant.
On en déduit immédiatement que la Blockchain n’est effectivement PAS une option très intéressante pour les projets de M. Zhou.
Kleptocrates de tous les pays, unissez-vous !
Arrivé à ce stade de mon analyse, le lecteur aura compris que non seulement les projets de monnaies numériques, surtout quand ils sont développés sous la houlette du Parti Communiste, n’ont pas grand-chose à voir avec les cryptomonnaies en général et Bitcoin en particulier, mais qu’on se trouve bien plutôt devant un projet aux antipodes de la philosophie anarchiste des créateurs de Bitcoin.
Il ne s’agit de rien de moins que d’une tentative de prise de contrôle de l’économie par le pouvoir politique, le tout enrobé dans un discours sécuritaire, pour la partie lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme, et lénifiant quand il promet que cette nouvelle monnaie sera plus facile à utiliser au quotidien, curieusement similaire à ce qu’on entend de plus en plus ces derniers temps aussi bien du côté de la BCE que de la FED.
On m’objectera que je suis parano, et que ces monnaies numériques sous le contrôle d’une Banque Centrale, qui je le rappelle est au moins en théorie indépendante de l’État, ne pourront pas être utilisées comme moyen de pression sur d’éventuels dissidents politiques. Et je répondrais que c’est pourtant déjà arrivé lors de l’affaire Wikileaks, avec un véritable blocus financier et le gel du compte paypal de l’organisation. C’était en 2010, et rien n’indique que ça ne pourrait pas se reproduire à plus grande échelle à l’avenir.
Je l’ai déjà dis, et je le redis ici : voir les leaders de ce qu’on appelait autrefois « le Monde Libre » et les héritiers d’une dictature communiste dans une aussi belle unanimité sur des sujets aussi vitaux (dois-je rappeler que les plus pauvres sont toujours les plus vulnérables à ces manipulations monétaires, et que l’inflation n’est qu’un impôt déguisé qui pèse plus lourdement sur eux ?) n’a rien de rassurant.
Cet article Un État peut-il adopter Bitcoin ? Le cas chinois est issue du site Le Coin Coin.